« L’été n’est pas fini » {B. & Hayden

BLUEBERRY & HAYDEN

Blue se baladait sur le Sunset Boulevard, ce matin. Enfin, cette nuit. A vrai dire, il était six heures du matin, à tout casser. Cette rue portait bien son nom. Effectivement, on pouvait y admirer le crépuscule, quand on savait où se placer. Souvent, les gens restaient chez eux, regardaient le spectacle par la fenêtre de leur chambre d’hôtel. Blueberry avait besoin de vivre ce moment avec plus d’authenticité. Elle appréciait ces rares moments passés dans de beaux cadres. L’avantage en Californie, c’est que ça grouillait de beaux endroits. Elle avait déjà fait Long Beach, Hollywood Boulevard, et d’autres endroits un peu moins touristiques qu’elle gardait jalousement pour elle. Blueberry était descendue d’une navette à environ un kilomètre de son endroit de prédilection. Elle avait marché durant une bonne heure, et pour cause, elle profitait du peu de monde qui naviguait de nuit.

Elle était là. Cette petite cabane dans les arbres, juste derrière un garage automobile. C’était un ancien coin aménagé par les enfants des mécaniciens, dont une amie de Blueberry faisait partie. De jour, simple aire de jeux. De nuit, on y admirait les étoiles. A l’aube, le spectacle ne pouvait qu’arracher une larme aux plus blasés. Mais le crépuscule n’était pas encore là. Blueberry décida donc de poser son sac à main à l’abri, dans la cabane. De toute façon, les gens avaient bien trop peur de ce coin pour s’y aventurer. Les enfants des mécaniciens, voulait garder leur petit coin de paradis pour eux, à cette époque, avaient fait courir le bruit qu’une bande de brutes épaisses rackettaient les petits. Les mères avaient peur, et la rumeur s’est amplifiée. Résultat, dix ans plus tard, le fantôme des caïds avait toujours son petit effet. Et je ne vous en parle pas de nuit. Le coin était désert.

C’était donc à présent le coin de paradis de Blueberry. Avançant vers la route, la jeune femme s’adossa à un mur de béton. Des moments comme ceux-ci, elle ne les avait vécus qu’en Sicile. La plage, le crépuscule. C’était vraiment le paradis sur terre. Depuis qu’elle n’avait plus Aaron, la jeune femme était aussi un cœur sensible. Briser le cœur de son petit ami avait été plus dur que ce qu’elle n’aurait pu imaginer. Depuis, la moindre goutte d’amour coulant dans ses veines était comparable à une brûlure. C’était douloureux, mais elle en avait besoin, son équilibre en dépendait. En deux ans, tout avait changé. Blueberry avait fait un garrot pour stopper les saignements de son cœur, mais les cicatrices restaient. Elle était néanmoins capable d’aimer, encore. La preuve l’été précédent. Dans le petit coin de paradis précédemment énoncé.

Il s’appelait Hayden. Il était beau, grand, charmant. « Hayden ou l’homme typique des vacances » aurait d’ailleurs pu être le titre du premier livre de Blue. C’est étrange comme, quand on a déjà vécu l’amour, on s’y accroche, et comme la moindre étincelle d’amour est ensuite vécue puissance mille. Quand elle le voyait, c’était comme si son cœur envoyait un message d’alerte à son cerveau, lui indiquant qu’il était un danger. Pourquoi ? Parce que les amours de vacance, ne durent que le temps des vacances. On réalise rapidement que l’on ne se connait pas, dans le fond, et à force de ne pas se voir, la passion s’estompe. Mais Blueberry n'avait pas vu Hayden depuis, quoi, un mois? Cela ne suffirait pas.

« Mademoiselle, ce n'est pas très bien de trainer dans des coins si mal fréquentés, il pourrait y avoir de mauvais garçons qui rodent par ici. » De mauvais garçons ? Encore une victime des ragots. Ce garçon était intriguant, mais s’il avait vraiment voulu lui faire du mal, il n’aurait pas fait le coup du protecteur. Elle était assise, détendue. Mais pour s’imposer, il fallait bien se lever.

« Ouais, à ce qu’il paraît. Mais j’ai ce qu’il me faut pour me défendre. Un spray au poivre, tout d’abord. Et mon frère dans la voiture. »

Aïe. En se levant, Blue se rendit compte qu’elle arrivait au menton du jeune homme, et que sa voix était étonnement aigue. Et le coup du grand frère était limite. En bref, elle avait foiré son coup. Blueberry Danfort ne s’abaisserait pas au coup de la garce ; JAMAIS. Tant pis. Si elle devait se faire tuer ce soir, elle n’aurait rien à regretter. Elle aurait connu l’amour, l’amitié, les études, même les projets de fiançailles. Elle n’aurait pas à réclamer de délai au bon Dieu. Sa vie aurait été courte mais riche en rebondissements. Oh, et une dernière vérité ; ceux qui disent voir sa vie qui défile devant la mort sont des menteurs. Rien de tout ça. Juste l’impression d’être devant un feuilleton passionnant, et juste au moment crucial, d’avoir sa mère qui passe devant avec l’aspirateur. *Woho, la mort ! Tu m’as oubliée ou quoi ?*. Tous les appels du monde ne servaient à rien. La dernière chance de Blueberry était sans doute de démasquer son agresseur. Dans le meilleur des cas, c’était son frère qui lui faisait une farce. Dans le cas moyen, elle s’en sortirait, et pourrait le balancer à la police. Et dans le moins bon, elle mourrait. Après tout c’était une fin enviable. Mourir sous une belle nuit étoilée, à Los Angeles. Alors, prenant de l’élan sur ses jambes, Blueberry sauta sur l’homme et s’agrippa à lui.

« AU VIOL ! » Cria-t-elle, si bien qu’elle s’irrita les tympans.

Blueberry avait les yeux fermés, comme à chaque fois qu’elle accomplissait quelque chose susceptible de l’effrayer, une fois qu’elle réaliserait l’action en cours. C’était sans doute la toute première fois qu’elle se sentait autant en danger. Comment passer d’un sentiment de confiance à celui de peur ? Il serait plus approprié de psychanalyser B. pour ses sautes d’humeur. Puis soudain, le nez dans le cou de son agresseur, la brunette analysa une odeur. Ca sentait la crème solaire au monoï. Elle s’arrêta net, se laissa presque tomber à terre. Ouvrant enfin les yeux, Blue réalisa que la casquette du jeune homme était tombée, révélant le visage halé du jeune homme.

« Mais quel bobet ! J’ai cru mourir moi ! » l’assena-t-elle d’une tape dans l’épaule précautionneusement faible.

Puis, se jetant à nouveau contre lui mais sans s’agripper à son coup comme une guenon, cette fois, Blueberry se serra aussi fort qu’elle le pouvait contre Hayden. Elle ressentait le même besoin d’être avec lui qu’un mois auparavant en Sicile.

« Tu m’as manqué, espèce d’imbécile ! »

Oh, bah oui ! Il venait de lui faire une peur bleue. Elle n’allait pas non plus lui faire des éloges. Quoi que le fait d’avoir eu peur, et celui de le serrer contre elle était suffisant, non ?

« Hé ben je vois que j'ai une tête de violeur ! Sympa ! Je retiens ! » Lança Hayden à Blueberry, au sol. Blue était plus que fière d’elle, elle était aux anges. Déjà, parce qu’elle avait réussi à faire tomber Hayden. Ensuite, parce qu’elle le retrouvait. Et pour finir, parce qu’elle ressentait à nouveau cette brûlure, qui la ravageait des pieds à la tête. Tout à coup, la gueule d’ange d’Hayden se fendit en un fou rire. A coup sur, elle avait encore fait l’imbécile. Et en y repensant, c’était même certain. Le fou-rire fut donc communicatif. Mais après analyse, Hayden se fichait d’elle ! Elle se contenta de lui tirer la langue et de fourrer à nouveau sa tête au creux de son cou. Ses longs cheveux bruns étaient éparpillés en soleil sur le torse du jeune homme, quand elle se redressait. Ce qui était rare. Le reste du temps, ils titillaient le nez d’Hayden. Que c’était bon, de sentir une nouvelle fois cette odeur estivale répartie sur le corps du jeune homme, qui enivrait totalement Blue.

« Tu sens toujours aussi bon… » intervint-elle sur un ton nostalgique, après quelques minutes.

Si Blueberry disait cela, c’est qu’elle avait déjà fait le compliment au jeune homme. Cette odeur de monoï était tout simplement envoutante. Mais elle ne pouvait pas mettre de monoï. Ces crèmes sont basses protection ou carrément bronzantes. Alors que Blue, elle, mettait de l’écran total, car elle ne tolérait pas les UV. Cette petite réflexion ramena d’ailleurs notre déjantée préférée sur terre. Elle avait assez rêvassée, et il ne fallait pas oublier que Hayden était à moitié sur la route. Tout à coup, le gong d’une église retentit. Il était l’heure du lever de soleil. Du moins, il ne tarderait pas. C’était parfait, pour se retrouver, avec Hayden. Une petite soirée (matinée) rien que tous les deux, autre part qu’allongés sur une route. Attrapant Hayden par le bras, et tentant de le faire se relever, Blueberry le supplia :

« Vite ! Je vais te montrer quelque chose ! »

L’attirant vers la cabane, Blue dût néanmoins lâcher la main su jeune homme pour monter l’échelle.

« Monte, vite. » l’appela-t-elle, déjà en haut.

En l’attendant, elle sortit un coussin gonflable de son sac à main. Il était assez grand et de bonne qualité pour qu’un dos de l’envergure de celui de son ami s’y appuie sans qu’il éclate. Blue s’appuierait un peu contre lui. Essoufflée à force de gonfler l’engin, encore plus gros que ce qu’elle croyait, B. le posa contre une des cloisons. Elles avaient tenu toutes ces années, alors il n’y avait aucune raison pour qu’elles s’effondrent ce jour-là.

Changé ? Oh, oui. Il n’était pas la peine de demander en quoi. Après tout, lui n’avait pas changé. Blue, elle, s’était transformée, littéralement. Et ça ne datait pas de si longtemps, à dire vrai. J’irais même jusqu’à dire que la transformation de la jeune femme s’était effectuée au moment exact auquel elle avait reconnu Hayden. Cette chaleur avait été le déclencheur de sa mutation. Et, chose presque irréelle, la chaleur qui envahissait à présent non seulement le corps, mais aussi l’esprit de Blue, et semblait envahit la cabane. La chaleur semblait d’ailleurs communicative, car Hayden lui aussi était brûlant. Ou peut-être n’était-ce qu’une illusion ? Quoi qu’il en soit, le spectacle du regard tendre de Hayden égalait bien celui du crépuscule. A présent, B. se consumait carrément. Elle ne put s’empêcher de retirer son boléro en coton, qu’elle portait faussement pour responsable de sa cheminée interne. En sortant de sa chambre, pourtant, elle avait prit ce quelque chose, car elle avait frissonné à peine elle avait ouvert la fenêtre pour aérer. Blueberry lança son boléro par-dessus les jambes de Hayden, se retrouvant, l’espace d’un instant, face à lui. Elle arrêta de respirer, mais quand la tête lui tourna, en baissant la tête, Blue réussit à articuler :

« Toi ; toi tu n’as pas changé, Hayden. »

B. était forcée de se concentrer sur sa respiration pour la maintenir à un rythme normal. Naturellement, il aurait été saccadé ou inexistant. Franchement, Blue n’avait aucune envie de finir à l’hôpital alors qu’elle était avec Hayden. Le crépuscule importait peu, à ce moment exact, à la jeune femme. Elle lui tournait d’ailleurs le dos, pour bien faire. Soudain, la main de Blue trembla, comme si elle voulait se détacher de son corps. Blueberry tenta d’abord de la caser sous sa cuisse, mais elle tremblait encore plus fort. Elle la laissa alors faire. Monter, caresser l’épaule gauche de Hayden, monter le long de son cou, frôlant son oreille et ses cheveux, pour enfin redescendre vers sa nuque, qu’elle enveloppa doucement. Blueberry n’avait donc plus aucun contrôle de ses gestes. Elle approcha doucement son visage de celui d’Hayden, collant son front à celui du jeune homme. C’est à ce moment là que Blue reprit le control, incapable néanmoins, de reculer son visage. Elle se contenta de fixer H. de ses yeux en amande. D’abord, aucune parole ne sortit. C’est en donnant mentalement un ordre ferme à ses lèvres de bouger, que B. arriva à parler, enfin.

« Je… » souffla-t-elle, sans savoir que dire d’autre.

Ses lèvres avaient effectivement bougé, mais aucune phrase n’était capable d’y être produites. Blue ferma alors les yeux, tentant de calmer les battements affolés de son cœur, qui ne savait que faire.

« Je sais que si on faisait ça, tu t'en voudrais à propos d’Aaron. Je te connais miss Danfort. » C’était comme si Hayden avait pu lire dans les pensées de Blue, mais que, contrairement à elle, il arrivait à formuler des phrases. Le jeune homme avait un meilleur contrôle sur B., qu’elle n’en avait sur elle-même. Aaron. Voilà, c’est à ce moment que la brûlure s’estompa, pour laisser place à un coup de massue. Des larmes ne pouvaient cependant pas couler, pour cela il aurait fallu qu’Aaron vienne en personne. Ce qui était impossible. Blueberry ne reverrait sans doute jamais, d’ailleurs, son « presque fiancé ». L’absence était moins dure à encaisser que les retrouvailles, vu la honte que ressentait B. La jeune femme avait bien tenté de s’excuser, mais avait été stoppée par un baiser d’Hayden. C’est vrai qu’il y avait de quoi s’excuser. Elle se rendait compte d’avoir été un peu trop entreprenante, pour ce coup-là. Hayden venait de lui confier que ce n’étaient juste pas les bonnes circonstances. Et il avait bien raison. Sans risquer de s’y méprendre, il ne lui mentait pas, et la vérité était sans appel : il venait de sauver Blue d’elle-même.

« Merci. »

Ce fut tout ce qu’elle trouva à dire, et de toute façon, il n’y avait pas autre chose à placer. Plus que le risque d’être rongée par la culpabilité, vis-à-vis d’Aaron, il y avait aussi celui de gâcher l’amitié qu’elle avait avec Hayden. Ils auraient été heureux, un temps. Puis, aussi vite que ça aurait commencé, ils se seraient détruits mutuellement, et, cercle vicieux, Blueberry se demanderait si Aaron n’aurait pas été celui qu’il lui fallait. Non. Il fallait vraiment mettre les choses à plat. Ou, au moins, attendre quelques mois – quelques années, qui sait ? Enfin, maintenant qu’elle avait failli céder à la tentation, Blue se sentait tout de même mal. Il lui fallait un signal, lui indiquant que c’était bon. C’est d’ailleurs à cet instant qu’Hayden se redressa, passa une main dans les cheveux de la jeune femme, et s’allongea, la tête sur les jambes de Miss Danfort. Alors elle ne put se retenir d’exprimer un sourire, et un regard plein d’espoir. La situation était à présent comme elle aurait du être, depuis qu’ils étaient montés dans la cabane. Enfin, avec B., ça ne se passait jamais, comme il le fallait. Elle s’y ferait, avec le temps.

Tout à coup, repensant à tout ce qui s’était passé, depuis le début de la soirée, Blueberry ne put s’empêcher d’étouffer un rire court. Elle avait sauté une première fois au coup d’Hayden croyant que c’était un violeur ; une deuxième fois en réalisant que ce n’en était pas un, et une troisième et ultime (ou pas x]) fois pour tenter, elle, de coucher avec. Elle avait quand même un sacré problème relationnel ! Rajoutant les rencontres et relations étranges qu’elle entretenait avec Shawn, ou même son frère, Alexander. Blue ne pouvait pas se résoudre à aimer une femme. Chez les autres, mais pas chez elle ; c’était inconcevable. Alors peut-être devait-elle tout simplement adopter un chien. Il lui lècherait la figure de temps en temps, ça comblerait le manque d’une présence humaine. Blueberry appellerait son chien « myrtille », en traduction de son prénom, ou « Hayden », si elle finissait par se marier avec Aaron ; elle inverserait les prénoms dans le cas inverse, évidement.

En caressant les cheveux d’Hayden, B. ne put s’empêcher de déposer, au passage, un baiser amical sur son front. Oui, oui, amical. Il était dur de se résoudre à se lever, mais Blue ne résisterait de toute façon, pas à une heure de plus isolée avec Hayden. Il ne fallait pas lui en demander trop non plus.

« Je suis certaine que tu meurs d’envie de visiter le plus beau boulevard du monde ; façon souvenirs d’enfance. »

C’était évidement une question purement rhétorique. S’il disait non, Blue aurait fait mine de s’en aller, et il aurait du la suivre.

« Tu sais qu’en 30 minutes tu es tombée 4 fois sur moi ! Je vais finir pas croire que ton seul but est de m'allonger miss Danfort, je suis vexé ! » N’importe quoi ! De un, elle ne lui était pas tombée dessus, mais s’était jetée sur lui. De deux, c’était comme ça, un point c’est tout. Son ton plus qu’ironique laissait présager le pire. Et effectivement, en même temps qu’il disait cela, Hayden attira Blue par la main (main qui aurait du, évidement, servir à relever le jeune homme) en la faisant tomber. Ah, il avait prévu son coup. Blueberry se retrouvait à califourchon sur Hayden, plaquée sur lui, sous la pression de ses bras. Ca ne lui déplaisait pas. Le baiser dans les cheveux non plus. A vrai dire, le mois dernier, les deux jeunes se retrouvaient souvent ainsi, forme de jeu ou marque de fraternité. Mettant ses bras en position de préparation aux pompes, B. entreprit de se défaire de l’emprise d’Hayden. Heureusement, il ne l’empêcha pas de respirer. Un petit « Oh, hisse ! » s’échappa néanmoins de sa bouche. Une fois redressée, Blue posa ses avant-bras au sol. Elle était à peu près dans la même position que précédemment, à vrai dire ; à la différence que là, elle était en position de supériorité.

« Je ne suis tombée sur toi qu’une seule fois. Et c’est parce que tu viens de profiter de ta masse musculaire, c’est pas juste, donc ça compte pas. Les autres fois, je t’ai carrément sauté dessus, il y a une nuance ! » Lança-t-elle en lui tirant la langue.

En rire était sans doute un bon moyen d’accélérer le processus de mise à l’aise avec ce qui avait faillit se produire. Et puis, après tout, comme on dit, il valait mieux en rire qu’en pleurer. Et Blueberry adorait rire, elle était pleine de vie, et de blagues nulles, qui faisaient rire tellement elles n’auraient pas du le faire. Enfin, bref. Hayden ne semblait souhaiter pour le moins du monde sortir de la cabane. A coup sur, quelconque feinte de B. serait contrée par les bras du jeune homme. Il fallait donc ruser. Si la force des muscles désavantageait forcément Blueberry, celle de l’esprit desservirait sans doute Hayden ; du moins elle l’espérait. Il fallait qu’elle ruse, ce qui n’était pas chose facile. Une diversion lui donnerait le loisir de réfléchir à la stratégie à adopter. Pour cela, il suffit que Blueberry se blottisse dans les bras d’Hayden, sans mot dire. Pas de « tu as gagné ». Ca semblerait louche. Il fallait viser plus haut, plus loin.

« J’imagine donc que tu as une idée de ce que l’on va faire pour tuer le temps ? Appart m’étouffer ou renifler mes cheveux, évidement ! » Lança Blue d’un air malin.

C’était pas mal, pour une première attaque. Blueberry savait pertinemment que son shampooing et son parfum avaient la même odeur. « Féérie », de Van Der Cleef ; pour le shampooing, c’était un leurre. A vrai dire, elle avait acheté une eau de toilette de contrefaçon, se rapprochant de l’odeur du parfum, et en vaporisait un peu sur ses cheveux chaque matin. Histoire de ne pas gaspiller un parfum qu’elle avait reçu pour noël, en le vaporisant dans ses cheveux. L’eau de toilette était discrète, et n’abimait pas ses cheveux. L’avantage de toujours porter le même parfum rare, c’est qu’on l’identifiait comme son odeur. Pour en revenir à Hayden, il avait donc l’habitude de humer l’odeur de Blueberry. Elle aimait cela, après tout, elle, ne pouvait pas se renifler toute seule, alors autant que les autres en profitent.

Etape une, passer par-dessus les sous-entendus louches de Hayden. Une tape sur l’épaule, une moue significative, une langue tirée suffirent. Ok. Etape deux, trouver quelque chose à faire. Si le jeune homme était entré dans le jeu de Blue, c’aurait été chose aisée. Enfin, comme toujours, il n’était pas décidé à lui faciliter les choses. Elle avait l’habitude d’improviser pour faire face aux changements de programmes, avec le beau brun. Tenter de le faire sortir par la force (quelle qu’elle soit) était à présent exclue. Quoi que, discrètement, Blueberry tenta d’attraper le dos d’Hayden pour le relever : elle retomba derechef sur celui-ci en soupirant. Allez, une dernière tentative :

« Je pourrais bien te présenter les dealers de drogue douteux que je connais bien ; mais tu ne pourrais pas t’empêcher de leur mettre ton poing dans la figure, pour seul motif de m’avoir fréquentée. Tant pis pour toi… »

Avec un peu de chance, il y croirait et s’empresserait de sortir de la cabane en cherchant les revendeurs. Sans même attendre sa réaction, B. remit ses neurones à l’ouvrage. Que pouvaient bien faire deux amis de vacance pendant toute une matinée. Il était à présent huit heures et demie. La circulation se densifiait, les ouvriers ne tarderaient pas à arriver pour travailler. Les plus assidus y étaient sans doute déjà, d’ailleurs. Il n’y avait cependant aucun risque d’être surpris. Le temps des enfants de la cabane était depuis bien des années, révolu. Des photos ? Blue avait toujours trouvé cela puérile, et après tout, les Gossip s’en chargeaient déjà bien comme ça. S’asseyant sur le ventre de Hayden, toujours à califourchon, mais se tournant dos au jeune homme sans être déconcentrée par son regard, B. mit sa tête entre ses mains pour réfléchir un long moment. Tout à coup, ce fut la petite ampoule qui s’alluma. Accompagnée d’un beau « TING », comme il se devait. Oh, c’était sans doute l’idée du siècle ! Il fallait juste que Blueberry trouve comment formuler tout cela, et ça serait bon. Une minute, deux, puis trois. C’était bon. Se retournant furtivement et se plaquant contre Hayden, B. lâcha :

« Bon, je te propose un jeu. Si tu me trouves trois BONNES raisons de rester ensemble dans cette cabane encore quelques heures, je ne te contredirai pas ; et je ferai ce que tu veux. Dans le cas contraire, c’est moi qui déciderai du programme. »

Là, elle était fière. D’abord, la jeune femme avait songé à cinq raisons, mais ça faisait beaucoup. Et quel que soit le nombre qu’elle choisirait, elle était persuadée que Hayden ne trouverait pas comment formuler ces fameuses raisons. Elle avait même prévu quelques raisons béton au cas où elle devrait elle aussi, argumenter. Fortiche la brunette. Fourrant une nouvelle fois sa tête au creux du coup halé de son compagnon, dans l’unique et cruel but de lui embrouiller les idées, Blue passa aussi son doigt de l’épaule au coude de Hayden. Frissons assurés.

C’est le baiser soudain d’Hayden qui eut le don d’empourprer la jeune femme. N’avaient-ils pas dit qu’ils devaient arrêter leurs sottises ? De toute façon, Blue était habituée à ce que le jeune Italien ne soit pas de la meilleure foi du monde. Ses arguments étaient clairs, et efficaces qui plus est. Les statistiques étaient loin de donner B. pour gagnante. Ruser ? Elle l’avait déjà fait. Le chantage aussi, même la fausse mine boudeuse. Oh, et, indice suprême de l’agacement, Hayden affichait ce sourire étiré jusqu’aux pointes de ses oreilles, signifiant qu’il était vainqueur. NOOOONNNN… c’était inconcevable. Blueberry avait mis sur pieds une stratégie d’enfer, pourtant ! Durant ce mois passé en Sicile, le brun ne s’était pas montré aussi rusé. Ah, il cachait son côté obscure à la jeune femme, afin de mieux l’attirer dans ses filets. C’est bon ; elle avait retenu la leçon, et ferait plus attention, à l’avenir, aux gens avec lesquels elle tisserait des liens. Car, si elle devait être aussi proche de chacun d’entre eux que d’Hayden, ça allait promettre ! Se résignant à la soumission, Blueberry leva les bras au ciel à « dix-heures-dix » comme pour vénérer le jeune homme, et lui lança.

« D’accord, je capitule ! Je suis toute à toi. »

C’est en la prononçant que Blueberry se rendit compte de la pesée de ses mots. Elle avait quand même misé gros sur l’incapacité de Hayden à raisonner convenablement. C’aurait sans doute été mieux qu’elle, elle résonne, et fasse attention à ses dires. B. s’était redressée tout de suite après le baiser du brun, mais ne s’était pas relevée. C’est donc ce qu’elle fit, en se dirigeant vers le matelas ; pour enfin, s’asseoir aux côtés du jeune homme, en passant son bras au dessus de l’épaule de celui-ci, façon « tape-m-en cinq poto ! », sans lui offrir sa main. Blueberry posa sa tête contre le bras d’Hayden – le creux de son coup était inaccessible quand tous deux étaient assis. A la réflexion, retrouver un ami comme Hayden était impossible. Alors inutile d’assurer ses arrières en vacance, à l’avenir. Garder contact, et conserver une si bonne entente, avec une ambiguïté qui n’était pas gênante après tout… c’était impossible. Même avec Hayden, d’un œil extérieur, les autres ne le comprendraient sans doute pas. Blue n’était vraiment pas conventionnelle, ou politiquement correcte, comme fille. C’est sans doute, d’ailleurs, à cause de ça qu’elle n’était pas populaire. Ceci, mélangé avec son caractère calme (sauf exceptions xD) n’était pas considéré comme normal. C’est d’ailleurs à cause de cette singularité que la jeune femme avait cessé de chercher la définition de la normalité. Ce n’était qu’une fausse idée de la perfection, propre à chacun. Cette normalité était abstraite, irréelle et, surtout, inaccessible.

En posant cette fois son front sur le bras d’Hayden, Blueberry prit de l’élan, se hissa à l’aide de ses petits bras jusqu’à l’oreille de celui-ci, et chuchota :

« Bah vas-y, j’attends tes propositions. »

Avec les quelques secondes qui s’étaient écoulées depuis sa capitulation dite, B. avait eu le temps de réaliser que quoi que Hayden décide, il ne serait pas malsain. Il tenait trop à elle, à son bien-être et à son innocence. Aaron ne quitterait pas son esprit de si tôt. Et même (c’était carrément une vérité absolue) jamais. Quel que soit l’amour qu’elle lui porterait au final, il serait présent dans chacun de ses actes.